AVANT-PROPOS
FOREWORD
Bernard Lafargue
Erotisme de la pornographie Pornographie de l'érotisme
Lors des conférences qu'il prononça à la National Gallery of Art de Washington
en 1953, Kenneth Clark distinguait farouchement la beauté pure du Nude de la beauté vulgaire du naked en gommant ou épilant, il est vrai, un nombre
assez considérable d'oeuvres d'art et non des moindres. Son livre, le premier à
tenter d'embrasser l'art du nu, fit florès ; sans doute car il mettait en
images la dichotomie entre le Beau artistique qui appelle un jugement de goût
désintéressé ou cathartique et la belle fille qui met Hippias en érection à
laquelle la majeure part de la tradition bien pensante s'est montrée
particulièrement attachée.
L'art de cette fin de vingtième
siècle qui, depuis L'empire des sens, voit
les acteurs du porno forniquer avec ceux du classique, tandis que les
plasticiens, de Koons à Araki, vont chercher
leur Euridyce parmi les stars du porno et les écrivains passer des Femmes
libertines de Sollers aux truies de Marie Darrieussecq, aux partouseuses un
rien lasses de Michel Houellebecq ou à la "viandographie" de Claire Legendre,
voire Esparbec, l'un des pornographes les plus lus de France, signer un roman autobiographique
littéro-pornographique,
nous oblige à brouiller les
genres de Clark et à proposer un nouveau paradigme : ut ars pornographia. Si la
pornographie montre les relations sexuelles que l'érotisme suggère, l'art contemporain,
du moins un de ses courants les plus importants, est pornographique, sinon
érotique. C'est un constat que chacun peut faire en passant des sex-shops aux
centres d'art contemporain et vice-versa. Reste à comprendre comment et
pourquoi les pornai – professionnel(le)s
de l'éros – de Parrhasios, l'inventeur patenté du genre, sont (re)devenues les
nouvelles muses de la création artistique. Tel est l'objet de ce quatrième numéro
de Figures de l'art qui dessine
trois hypothèses plus ou moins complémentaires.
La première trouve son socle
épistémologique dans l'esthétique hégélienne relue à travers le prisme adornien
de la téléologie avant-gardiste. Dans cette herméneutique, l'histoire de l'art
est celle de l'infinie liberté humaine, telle qu'elle s'exprime et se réalise
dans l'évolution infinie des formes symboliques. Faite de ruptures, que les
artistes modernes ont pu croire radicales, l'histoire de l'art est en réalité celle de scandales relevés – aufhenbung
– par la ruse de L'Esprit. Du Dieu
abstrait de trop de pudeur qui fulmine au
Sinaï à son image qui naît inter urinam et feces à la mode Augustin, pisse à celle Rembrandt, baise son
modèle à celle Picasso, chie à celle Gilbert and George, vomit la viande
avariée qu'elle vient d'ingurgiter à celle Pane, montre son con rougi de
menstrues à celle Orlan, se prostitue à
celle Journiac, se branle à celle Brus, viole des gamines à celle Muehl,
pratique fellation et cunnilingus à celle
Koons et Cicciolina in Heaven, asperge les spectateurs de son sang
sidaïque à celle Athey, etc. les artistes nous auraient fait progresser dans
une divinisation esthétisante des "parts maudites" de l'être humain.
La deuxième, qui hérite de la
première via Proust, consiste à faire du dernier style — Kunstwollen — un prisme esthétique de relecture heuristique de
certains pans similaires de
l'histoire de l'art. C'est dans cette optique que David Freedberg a remarquablement mis en lumière le pouvoir érotico-pornographique des
oeuvres d'art, des Vénus préhistoriques exhibant leur vulve
grand'ouverte aux dernières photographies de Mapplethorpe en passant par les
vases grecs où erastes et eromenoi se sucent et s'enculent à la
queue leu leu, les Priape ou Hermes ithypalliques qui décoraient à fresques ou
en relief les maisons romaines, les obscenae
des églises romanes, les lactations/fellations d'une Vierge aux
seins en cucurbitacées, les
Vénus du Titien remaniées par les Maja de Goya, les Olympia de Manet ou
les Demoiselles du bordel philosophique de Picasso, etc. Cette "revisitation"
revigorante de l'histoire de l'art opère des mélanges de catégories, nobles et
viles, que la tradition esthétique reprise par Clark séparait et met en évidence la nature remarquablement opératoire de
nouveaux concepts esthétiques, notamment celui d'
"érotico-pornographique".
La troisième
part d'un constat : libéré, banalisé, netpornographié, le sexe est devenu "ennuyant", pour parler comme
Patrick Baudry. Aussi longtemps que les interdits judéo-chrétiens furent
pris un tantinet au sérieux, soit jusqu'à la fin des années mille neuf cent
soixante dix, l'art pornographique, maquillé en luxure ou en fable, irisait plus ou moins scandaleusement
les oeuvres d'art ; et les amateurs goûtaient ce comble de l'art, qui
pouvait tromper le regard mais pas l'oeil, en faisant mine de n'en point voir
la littéralité. Une fois ou deux, une impératrice entre deux cures, quelques critiques courroucés et une foule confuse
s'indignèrent et s'esclaffèrent
devant les pornai de Manet ou Courbet ; mais le ridicule changea
vite de camp. Le "manebit" de Duret, recouvrant Victorine de
"la valeur intrinsèque de la peinture en soi" et l'insolite Plaidoyer pour un ami mort : La vérité sur la colonne Vendôme où Castagnary, alors directeur des cultes et de
l'École des Beaux-Arts, fait sans rire des gougnottes jouissant de
Courbet des prix de vertu,
règneront jusqu'à Greenberg. Seules les photographies obscènes d'Auguste
Belloc, qui avaient parfois servi de modèles aux deux peintres, furent saisies
en octobre 1860, car justement la photographie, Baudelaire l'écrit dans le
salon de 1859, ce n'est pas de l'art ou bien
du bas art tout juste bon pour un vulgum pecus privé d'imagination.
Kantiens à "l'insu de leur plein gré", la plupart
des théoriciens de l'art ont, jusqu'à ce jour, nettement séparé l'érotisme
distingué de l'art de la vulgaire pornographie réservée à des Bey décadents ou
à un peuple ignare aussi nettement que les
artes liberales et les
artes mecanicae l'étaient sur le
campanile de Florence. Aujourd'hui
que "la cochonnerie sans tête" de Courbet, que Khalil-Bey,
Hatvany ou Lacan avaient si fébrilement cachée, est accrochée au musée d'Orsay,
entre Le Rut du printemps, L'Enterrement à Ornans et Les Romains de
la décadence, sans voile ni panneau-masque, après avoir été solennellement
intronisée en tant que L'origine du monde par le ministre de la culture
Philippe Douste-Blazy le 26 juin 1996, que la
copulation est enseignée dans les écoles primaires entre la géographie et
l'instruction civique, que les films X sont visibles à la télé dès le douzième
coup de minuit et que les prostitué(e)s sont en passe de retrouver un statut
social comparable à celui de tous les travailleurs défendus par Arlette
Laguiller, la pornographie n'est plus ce qu'elle était. Qu'est-ce à dire ? Si
Pornos fut peut-être le frère jumeau masqué d'Eros, qu'est Pornos sans Eros ?
Le grand Pan est-il mort étouffé par ses lauriers impudiques ou bien est-il de
retour sous une forme nouvelle ?
Selon les oeuvres que les esthéticiens convoquent,
on peut distinguer deux tendances :
– la première présente la fin,
tristement ou pitoyablement pornographique, du fantasme érotique conçu sous la
forme de la répétition de "la scène primitive". Le coït ne
fait plus recette ; il ennuie ; il fait faillite. Il y a trente ans, Lacan étonnait ses auditeurs en affirmant qu'il n'y a pas de
rapports sexuels. L'art, aujourd'hui, a fait du précieux mathème une
évidence pornographique. Non plus parce qu'il y aurait une attente déçue de ce que Juliette ne peut pas donner, mais
parce que plus personne ne monte au
balcon pour ça. Ça (l'amour) ne fait plus mourir, ni vivre, ni même
courir. Les organes sexuels,
masculins, ou féminins ne sont plus excitants. Ils ne sont même plus laids,
comme Freud pouvait encore l'écrire dans les années trente. Ils n'ont plus
d'attraits (Reize). Privés des fantasmes qu'ils avaient cristallisés
depuis tant de temps, ils sont, comme les Objets-Moins de Pistoletto,
moins qu'un genou, une rate, un rein ou une cuisse en fer rouillée de Kiki
Smith ou en cire poilue de Göber. Ils ne vibrent plus, ils ne marchent plus. Ils pourrissent dans
l'indifférence. Photographies de cons rafistolés déguelant des étrons ou de
bouts de prothèses de queux maladives et désuètes de Cindy Sherman, sexes
moisis en natures mortes de morgues (Serrano, Witkin), branlettes et fellations
inopérantes (Romance), lasses (Les Particules
élémentaires) ou mécaniques
(Jack Pierson), la liste serait
longue de ces oeuvres qui pornographient que l'homo eroticus est
triste non seulement post coïtum, mais ante.
- la deuxième tire le rideau
sur les femmes-mères. Marie est morte au ciel quand
le très velu con (de Jo ?) est entré au musée.
Alethéia ! La vérité est dévoilée. Mise à nu. À poil.
The nude is naked. L'origine est ce petit trou, admirablement peint à la
Corrège, d'où l'homme autrefois
naissait entre l'urine et la merde et en était, disait-on, marqué à vie. La
légende, qui fit de la vierge Marie la mère des
femmes, est close. Huxley nous avait prévenu dès 1932 ; dans Le meilleur des mondes, le mot
"mère" est la pire des insultes pornographiques. Oui, la femme peut
être humaine même si elle n'est pas (dé)formée pas la graine divine de Gabriel.
Oui, l'homme peut bander même s'il ne craint plus d'être dévoré par le trou
denté d'où il était sorti en criant. Non, l'homme ne descend plus du sexe ; et
les dieux ne lui sont pas tombés sur la tête. Il croît dans un laboratoire
confortablement aménagé par un processus de "bokanovskification", de
clonage et de transgénisme. Retrouvant la
sagesse de cultures primitives qui distinguaient parents et géniteurs,
l'Occident s'apprête à séparer sexualité et procréation et à réaliser un
eugénisme humaniste. Fini la scène primitive, le fantasme universel de
l'inceste et la guerre des sexes ? Fini la pornographie excitante ou
"ennuyante" ? Ombilic du désir et de l'art, la pornographie n'aurait
donc été que la figure des lèvres de la généreuse vulve maternelle masquée sous
le visage – vultus - si éroticohystérique d'une épouse vénale.
Pornos
et Eros risquent un nouveau pas ; le saut du gender fucking,
qui embrasse la sourcilleuse
différence des sexes et réalise peut-être ce nouvel érotisme appelé par Rrose
Sélavy au début du siècle : le
Queer. Selon
deux voies qui s'hybrident en rhizomes : celle de l'hybridation à la
Neuromatrice du Net, ouverte par Laurie Anderson et déployée par Stelarc, Piot
Kowalski, Dantec, Léonard Cronenberg, etc. et celle du transgenre de ces
transsexuels mutants, chaque jour plus nombreux, d'Orlan, Barney, les frères
Chapman, Othoniel, Rivas, Hybert, Mori, Dustan, Almodovar,
Jackson, Bowie, etc. Cet ultime Kunstwollen
instaure la figure, sans doute ob-scène
et érotique mais certainement plus pornographique, d'un nouveau pansexualisme
transgénique. Pornos or Queer ? The last but not the least question.
© Bernard Lafargue
Notes
Dans le dernier film de Catherine Breillat, Romance,
(1999) Roco Siffrédi (qui joue le
rôle de Paolo, l'amant de passage, "plutôt une queue qu'un
personnage" selon Thierry Jousse in Cahiers du Cinéma, 1999, n° 534), le célèbre hardeur italien du porno,
mieux connu sous le
qualificatif homérique de "l'homme au sexe d'or qui ne dort jamais" est
le seul
à faire l'amour à Marie, interprétée par Caroline Ducey ; le mari (Paul) et le
maître kitscho-sadique (Robert)
ne paraissant plus pouvoir bander. De même, quoique apparemment à l'opposé, dans le deuxième film de
Frédéric Fonteyne, Nathalie Baye (Elle) décrit
sa relation amoureuse avec Sergi Lopez
(Lui) qu'elle a rencontré par une petite annonce comme "une liaison
pornographique". C'est d'ailleurs le titre de cette émouvante histoire
d'amour érotico-pornographique entre une femme et un homme mûrs et "très
bien" qui évitent d'un rien, d'un
malentendu, une vie de couple. Des scènes pornographiques de Romance
(mars 1999) au scènes érotiques "d'amour normal" de
Une liaison pornographique (septembre
1999), en passant par le dernier film de Laetitia Masson, A vendre,
où l'héroïne champenoise en fugue (Sandrine Kiberlain)
ne peut coucher avec les hommes qu'elle désire qu'en se faisant payer comme une
pute, Post coitum, animal triste, "le
film autobiographique" de Brigitte Rouan où l'héroïne est présentée, dès
les premières images, sous
l'emblème d'une chatte en châleur, L'ennui de Cédric Kahn relisant
Moravia, où un professeur de philo (Charles Berling) en vient à ne plus pouvoir vivre
sans baiser compulsivement une jeune fille sans autre qualité que l'ennui
(Sophie Guillemin), 8 mm, le
film de Joël Schumacher où Nicolas
Cage (Tom Welles, le détective engagé par une riche veuve effondrée qui veut savoir si le film Super 8, où l'on
voit une jeune fille se faire violer et torturer à mort, qu'elle a trouvé dans
le coffre de son époux, est un "vrai", un snuff movie) découvre que la zographia (j'entends ici, avec Sénèque le père relu par
Jérome Coignard, la légende de la peinture de Parrhasios peignant un
prisonnier de guerre qu'il fait torturer à mort pour en faire un Prométhée
déchiré) est l'ombilic des films pornographiques, 8 femmes 1/2, le dernier film de Peter Greenaway, où le
console son père endeuillé en faisant son éducation sexuelle avec l'aide de
huit putes et demi, lui jouant la demi, Eyes
wide shut, le film posthume de Stanley Kubrick où Tom Cruise, le
mari à l'écran comme dans la vie de Nicole
Kidman, ravigore son couple endormi sur sa réussite en participant à une
rave porno, l'année cinématographique 99 érige en style dominant l'imbrication
de l'érotique dans le pornographique.
Cf. dans
ce volume, l'article de Paul Ardenne qui décline très précisément toutes les "Figures
de la sexualité dans l'art des années quatre-vingt dix".
Il y a dans cette nouvelle génération de romanciers,
Lorette Nobécourt, Virginie Despentes, Christine Angot ou Guillaume Dustan une
volonté très nette de se démarquer du modèle sadien de la littérature
pornographique à l'imparfait du subjonctif et de ses avatars millerriens ou
sollersiens pour réaliser une littérature plus vraie, crue, une "viandographie"
moins littéraire, plus littéraire, une "snuff novel".
Comme la zographia
est la peinture de la vie, la pornographia
est la figuration des différentes relations sexuelles proposées par
des professionnelles de l'éros. Il n'est pas anodin
que l'un des tous premiers peintres illusionnistes ait été également un
remarquable pornographe dont les
oeuvres furent très prisées jusqu' à la fin de l'empire romain. Quand Léonard fera à nouveau du katoptron – miroir - de Parrhasios le maître du peintre, il
figurera la vierge et les bambini en
sfumato et les génitalia muliebra en
anatomiste. La pornographie vincienne
change de statut, elle devient scientifique et thérapeutique. Vésale suivra la
voie.
David Freedberg, The
Power of images, 1989. Si Freedberg montre fort bien comment les protecteurs de l'art (historiens,
théoriciens et conservateurs) ont émasculé la force érotico-pornographique des oeuvres qu'un public
plus inculte ou plus déliquescent ressentait et s'il réussit de magnifiques analyses érotico-pornographiques des
Vénus de Titien, il n'interroge
malheureusement pas les conditions de possibilité épistémologico-esthétiques
de son discours.
Sur ce sujet, cf. l'article instaurateur, un
époustouflant chef-d'oeuvre, de Murielle Gagnebin
: "La Lactation de saint Bernard et Cano", in Question de
couleurs, Paris, Les Belles
Lettres, 1991, p. 87-111.
Si les romans de Georges Bataille sont
érotico-pornographiques, la théorie esthétique
qu'il met à l'oeuvre dans son analyse de Lascault ou de Manet demeure sous la
coupe de la sublimation freudienne qui "n'a pas grand chose à dire
sur la beauté". Roland Barthes, plus "papillon", est le premier
à oser le concept d' "érotico-esthétique". Mais, c'est chez Murielle
Gagnebin (L'irreprésentable ou les
silences de l'oeuvre, Puf, 1984), Hubert Damish (Le Jugement de Pâris, Flammarion, 1992)
et Arthur Danto (Après la fin de
l'art, trad. Claude Hary-Schaeffer,
Seuil, 1996), qu'apparaît, sinon le concept, du moins l'idée prégnante
que la beauté dans l'art a à voir, non seulement avec l'érotisme du divin Platon, mais avec la pornographie. Le premier
essai d'esthétique, magnifiquement éroticopornographique, est celui de Bernard Teyssèdre, Le roman de
l'origine, Gallimard, 1996, qui,
toutefois, l'intitule roman.
Dans sa critique du vulgaire réalisme photographique
au nom de l'idéal artistique, Baudelaire est le premier à faire du photographe
un triste et trivial pornographe qui développe "l'amour de
l'obscénité"... "dans ces milliers d'yeux avides se penchant sur les
trous du stéreoscope comme sur les lucarnes de l'infini". Mais, de même
que Platon évitait de citer les pornai de Parrhasios dans sa critique
de la mimesis, le poète oublie les nus pornographiques des photographes
que les peintres, Courbet, notamment, prenaient alors volontiers pour modèles. Warhol tirera les leçons du poète et en
touchera les dividendes. Il sérigraphiera
le sexe comme les chaises électriques ou les stars. All is pretty.
La télé et le net, où le
porno défile entre les news et la bourse, amplifient cette
warholisation.
En exergue de sa préface au catalogue Manet réalisé
à l'occasion de la vente Manet les 4 et 5 février 1884, Duret avait mis la
célèbre formule imaginée par Poulet-Malassis pour l'ex-libris : "Manet
et manebit" - Il reste et
restera.
Je m'inspire ici du livre, prodigieux d'érudition,
d'intelligence, d'humour et d'ironie, que
Bernard Teyssèdre a consacré à L'origine du monde, Le roman de l'origine, Gallimard, 1996, p. 102-110. Une seule
partie étrangement faible, quasiment inexistante : celle consacrée aux photographies pornographiques d'Auguste Belloc de
l'italien Bell'ocio : bel oeil selon Philippe Comar)
dont Courbet s'est inspiré. Sur ce sujet, il vaut mieux se reporter au
remarquable catalogue de l'exposition : L'art du nu au XIXe
siècle, Le photographe et son modèle, Hazan, BNF, 1997, et plus particulièrement aux
excellents articles de Dominique de Font-Réaulx et Philippe Comar.
Selon la formule que les guignols de Canal + ont
prêtée à Richard Virenque avec le succès que
l'on sait à propos du dopage et que Didi-Huberman utilise pour critiquer le ton
kantien des iconologues qui occultent le visuel figurai de l'oeuvre (Devant
l'image) et Danto pour dénoncer le formalisme kantien des critiques qui
transforment les queux de Mapllethorpe en nombres d'or. (L'art dangereux)
Même si l'extrême raccourci du bas-ventre poussa
peut-être le ministre à glisser dans son allocution une étrange bévue que
Bernard Teyssèdre se fait un plaisir de rapporter accompagnée des commentaires
malicieux de Pierre Schneider et Jean Clair. (op. cit., p. 374-376)
Dans la légende dorée du freudisme, qui a fait la
toile de notre vingtième siècle au même titre que celle de Voragine fit celle
des XIVe, XVe, XVIe et XVIIe
siècles, la scène primitive est celle du coït où l'homme et la femme deviennent
le papa et la maman de l'enfant voué à répéter inlassablement le même destin
qui lui-même sera répété par ses enfants jusqu'à la fin des temps. L'emprise de
cette scène demeure très forte chez beaucoup d'esthéticiens. Par exemple, elle
hante de part en part le très beau livre, le Sexe et l'effroi que Jérome
Coignard a consacré à la sexualité des romains.
A l'image de Romance, où le mari (Paul, un
beau mannequin) baille d'ennui pendant que sa femme Marie s'emploie sans succès
à le revigorer en branlant et suçant son vit las, la publicité fait son miel de
la faillite du coït. Parmi mille, celle, fameuse, où un jeune homme caresse fougueusement
une jeune fille qui le caresse avec la même frénésie, court vers un distributeur de préservatifs et, au
moment de mettre la seule pièce qu'il a en poche, préfère le cône glacé
que propose le distributeur voisin. La morale de l'histoire est à prendre au
pied de la lettre.
A moins d'être en acier et motorisés, ainsi que nous
les montre à l'oeuvre Twosome, la
bruyante Fucking machine que Louise Bourgeois a réalisée en 1991 pour
Dislocations, l'exposition
organisée par Robert Storr au MoMA.
Jonna Hifferman, la belle irlandaise que Courbet
avait empruntée à son ami Whistler.
On trouvera des descriptions magnifiquement
érotico-pornographiques du nu de Courbet dont
"le duvet descend en dégradé de boucles vers la raie du cul" (op. cit., p. 139), entre la chair
solaire du Titien, la chair lunaire du Corrège, la morbidezza du sfumato
vincien et les photos pornos qui circulaient gentiment sous le manteau tout
au long du livre de Bernard Teyssèdre.
Alors que les transsexuels dans les années soixante
dix réclamaient la prise en charge d'une opération qui leur donnerait leur "vrai"
sexe, les transgenres (Kate Bornstein, directrice de la troupe de théâtre
Outlaw Productions de San Francisco, le vidéo-performer Matthey Barney, le
photographe britannique Del Lagrace Volcano, le cinéaste Toff Haynes,
l'association française Zoo qui a organisé son dernier séminaire 1998-1999 à la
Sorbonne et au Centre gay et lesbien de Paris sur le thème : L'hétérosexualité,
ce douloureux problème) distinguent le genre et le sexe. On assisterait donc à
un retour du pansexualisme grec où ce qui met en branle l'éros c'est le
beau, soit selon le Phèdre et le Banquet, ce qui est ekphanestatos
– le plus brillant –, la question de la quiddité de cet apparaissant lumineux
(vagues néréides, nymphes de mousse, chèvres de Pan, éphèbes ou femmes étant
secondaire). Georges Bataille, le premier, a pointé cet étrange taedium
vitae –lassitude - qui avait amené l'Occident à confondre le con du monde
avec celui de la femme. Cf. L'excellent dossier des Actes de la recherche en
sciences sociales, n° 125, décembre 1998, sous la direction de Didier
Eribon et Eric Fassin.
Au "Devenir-femme de l'homme" et de l'art
mis en évidence dans l'oeuvre Deleuze et Guattari et mis en scène dans
l'exposition : Féminimasculin, Le sexe de l'art, réalisée au Centre Pompidou en 1995-1996 par le couple Bernadac/Marcadé,
l'exposition la plus éclairante du
siècle sur le sujet, fait suite un sexe non-humain, "moléculaire", de
"machines désirantes" rhizomées en réseau, qui prend la figure
érotique du transgenre. Le transgenre a d'ailleurs donné lieu à une très
intéressante exposition : Trangénéric, au Kolodo Mitxelena Kulturunea de
San Sebastian (novembre 1998-janvier 99) consacrée à des artistes espagnols.
"Queer",
bizarre, pédé en argot américain, a remplacé le mot "gay"
quand celui-ci en est venu à qualifier avec un certain conformisme et
déterminisme biologique une catégorie d'
homoxexuels plutôt blancs et riches. La théorie queer, dite Gender Fucking, ouverte
à toute forme de comportement sexuel, même l'hétéro, voit dans l'être humain,
non pas un homme ni une femme mais un transgenre. Cf. Les Inrockuptibles, n° 182 (janvier 1999) qui a réalisé
un très bon dossier sur ce nouveau sexe.
POUR CITER CET ARTICLE :
Bernard Lafargue, "Erotisme de la pornographie / Pornographie de l'érotisme" (Avant-propos), in Figures de l'art n° 4 : "Nude or naked ? Erotiques ou pornographies de l'art", décembre 1999, EUREDIT, Saint-Pierre-du-Mont, p. 9-15, Marincazaou-Le Jardin Marin / Figures de l'art, janvier 2005 [En ligne] http://www.marincazaou.fr/esthetique/fig4/avantproposfig4.html (Page consultée le ).
|