RÉSUMÉS DES TEXTES FIGURES DE L'ART 8 : "ANIMAUX D'ARTISTES"
Bernard Lafargue (Université Bordeaux III), Dans l'oeil de la Bête En ligne
LES CHARMES PAÏENS DU BESTIAIRE CHRETIEN
Michel Wiedemann (Université Bordeaux III, Les animaux allégoriques de l'Iconologie
de César Ripa & Jean Baudouin
L'auteur présente les sources et le propos de l'Iconologie de César Ripa traduite par Jean Baudoin (1643), dont l'influence sur les artistes a duré du XVIe au XIXe siècle, comme l'a montré E. Mâle. L'auteur identifie sept types de rapports entre l'animal et l'allégorie qu'il accompagne. Il dresse un tableau des animaux cités dans cet ouvrage et des allégories auxquelles ils renvoient en tant qu'attributs. Il indique quelques propriétés sémiotiques du système des allégories compilé par Ripa et réduit par Baudoin.
Olivier Le Bihan (Directeur du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux), Variations animales sur le débat de la flûte et de la lyre: à propos de quelques tableaux de Titien
La fable antique nous apprend que le silène Marsyas et le chasseur Actéon partagèrent tous deux un sort cruel. Le premier voulut comme flûtiste avoir raison de la lyre d'Apollon. Après être parvenu seulement à écorcher les oreilles des Muses et d'Athéna, il fut pendu à un arbre et fut écorché par son rival comme une simple venaison. L'autre fut condamné à être dévoré par ses propres chiens pour avoir enfreint l'intimité de Diane. Dans leur funeste égarement, ces deux protagonistes imprudents s'approprient au passage des qualités animales qui se révèlent hautement préjudiciables. Marsyas s'empare d'une flûte en bois de cerf qu'Athéna, dans sa sagesse, vient d'abandonner sur le bord d'un ruisseau. Pour avoir violé l'accès interdit des halliers de Diane, Actéon est métamorphosé en cerf et de chasseur devient gibier. De fait, la tradition humaniste accorde au cerf une valeur emblématique qui justifie sa présence dans certaines allégories savantes que l'on prise volontiers au temps de la Renaissance. Les plus familières se rapportent au débat de la flûte et de la lyre ou encore de l'ouïe et la vue: elles servent alors d'arguments rhétoriques aux mérites comparés du peintre et de l'orateur (sinon du poète). Le Titien, semble-t-il, ne fut pas insensible à ce genre d'arguments.
Jean Arrouye (Université Aix-Marseille), Sainte Engrâce, un bestiaire chrétien?
Les ouvrages moyen-âgeux consacrés aux animaux mêlent animaux réels et imaginaires, comme griffons ou dragons (mais ceux-ci étaient crus réels à l'époque). Leur but n'est pas de faire mieux connaître l'anatomie ou le mode de vie des espèces animales mais de rappeler les significations symboliques qu'une longue tradition de commentaires leur a attribuées et l'interprétation allégorique habituelle de leur comportement.
En conséquence, quand des animaux paraissent dans des textes littéraires ou des programmes iconographiques, notamment ceux qui se déploient dans les églises, ils exemplifient les conduites que les bestiaires leur prêtent, et les valeurs morales qui leur sont liées.
L'exemple du décor sculpté de l'église romane de Sainte-Engrâce, située dans les Pyrénées sur un itinéraire du pèlerinage de Compostelle, où se voient sur les chapiteaux des lions, un singe, un aigle, un ours, un éléphant, des centaures et des griffons, permet d'observer la raison d'être de ce bestiaire allégorique, le plus souvent, comme ici, mis au service d'une exhortation insistante à faire son salut.
Dominique Pauvert (Université Toulouse), Cochons, ours, oies et pies dans la peinture
"chamanique" de Bosch et Bruegel
Dans l'art roman des XIe et XIIe siècles, figurent des représentations qui ne sont pas réductibles à une simple iconographie chrétienne. Elles matérialisent l'existence, aux côtés du christianisme officiel, d'une religion populaire aux origines beaucoup plus anciennes et que nous qualifierons de carnavalesque. Certains animaux y jouent un rôle essentiel du fait de leur nature "psychopompe". Cette religion carnavalesque imprègne toute l'œuvre des peintres flamands Bosch et Bruegel qui la mettent en lumière et lui donnent une ampleur inégalée. On la retrouve, tout particulièrement, dans la chouette et la mésange de Bosch, la pie et le cochon de Bruegel, qui jouent le rôle d'admoniteurs et de passeurs entre les mondes.
LA VIE REVEE DES BETES
Roger Bozzetto (Université Aix-Marseille I), L'animal imaginaire, sa vie, son œuvre
La figure de l'animal joue un rôle essentiel dans les imaginaires anciens: dieu ou démon, monstre ou merveille, il domine l'homme, comme une part divine et, corrélativement, une part animale de son être. Les cultures ne savent que glorifier ou maudire cette part-là. Elle est si présente, avec son lot d'ambivalences, que le passage d'un statut ou d'un stade à l'autre s'accomplit par le biais de métamorphoses, renvoyées au divin d'abord, imaginaires ensuite et artistique enfin. Dans les textes plus récents, la dimension de merveille tend à s'effacer. La part proprement animale, débarrassée des illusions du divin tend à être aujourd'hui revendiquée. Elle apparaît parfois comme une dimension jubilatoire ou horrible de l'humain. Elle sert aussi pour explorer de façon positive la dimension éventuelle d'une altérité.
Danièle Méaux (IUFM Amiens), Le vrai faux bestiaire de Joan Fontcuberta
À la fin des années 80, Joan Fontcuberta propose une forme d'installation faite de photographies, de croquis, de cartes, de fiches, d'ossements, d'animaux disséqués… qui relate la découverte par deux savants d'une faune extravagante. Dans ce dispositif qui tient du canular, l'artiste catalan met en cause les rapports ambigus que la photographie entretient avec la science. Il interroge aussi le discours des naturalistes, les rapports entre la théorie et l'observation, entre la recherche biologique et les chimères.
François Bazzoli (École d'Art Marseille), Deux animaux de mots
Où l'on examine précisément une anomalie de la représentation au XXe siècle, qui concerne l'artiste belge Marcel Broodthaers (1924-1976), les fables de La Fontaine (1621-1695), un corbeau et un renard réduit à l'état de mots rouges ou noirs et une installation (1968-1972) présentée à la Wide White Space Galerie d'Anvers.
Natacha Pugnet (Université Aix-Marseille), Mickey Cuvier et autres figures animalières
dans l'œuvre de Mark Dion
L'une des ambitions de Mark Dion est de mettre au jour l'idéologie sous-jacente aux représentations de l'univers naturel. Sa rhétorique visuelle, complexe, est à interpréter comme un détournement des méthodes et conventions qui régissent la mise en exposition des espèces animales. Dans ses installations foisonnantes, l'artiste américain fait explicitement référence aux cabinets de curiosités et aux muséums d'histoire naturelle. Emblématique des relations que nous entretenons avec le vivant, l'animal est tout ensemble envisagé comme objet d'étude, de collection et sujet d'enjeux écologiques. Dans cette œuvre, les figures animalières - images, spécimens naturalisés, squelettes et peluches - constituent le moyen d'une déconstruction de l'idée même de nature.
Matthieu Guillot (Musicologue Paris), Composition et musiques animales
Le compositeur contemporain a parfois pu exploiter le potentiel des sons animaux, là où la zoomusicologie étudie la musique latente ou explicite qui siège dans l'animalité: son rythme, sa sonorité, sa singularité ou ses universaux. L'animal est alors considéré comme vecteur sonore, vecteur musical à part entière, comme forme artistique ou esthétique. D'où cette observation de F-. B. Mâche: "la baleine à bosse, le loup, le gibbon, présentent des manifestations sonores ordonnées et intéressantes".
Cécile Croce (Université Bordeaux III), Nos doudous sont-ils des collabos?
Admiré ou utilisé, l'animal a pour l'homme un double visage que le jouet exacerbe. Or, la fonction d'apprentissage du deuil réalisée par l'objet transitionnel selon Winnicott semble remise en question par de récents cybers-virtuels doudous habiles à flatter notre désir de simulacre en nourrissant les valeurs de l'enfance, pérennisée à l'envi. Le Hérault privilégié est notre vieux doudou, réinvesti par l'art: animal-homme-super héros ou hybride accompli; un mixte de tendresse naïve et de brutalité sauvage, histoire de nous permettre de ne pas grandir.
L'ANIMAL ACCOMMODE
Gaëlle Périot (Université Paris), Le bœuf écorché (Rembrandt - Soutine - Bacon)
La peinture du Bœuf écorché inaugurée par Rembrandt connaît un devenir qui permet de parler d'une véritable tradition se prolongeant dans la série des bœufs peints par Soutine et dans les carcasses crucifiées de Bacon. Cristallisant les oppositions du vif et de l'inerte, du sacré et du profane, le bœuf écorché pose le problème de la transgression de l'incarnat par un geste pictural qui n'est pas pour autant simple profanation de la belle apparence. On cherchera à comprendre la signification de ce dévoilement de la viande et du corps esthésique qui peut être appréhendé comme une esthétique de l'incarnation. Déchirant et dérobant la surface de la peau, le peintre qui écorche l'animal fait pénétrer le spectateur dans les fissures d'une chair que tous les vivants ont en partage.
Magali Tirel (Université Mexico), Klossowski: de la "cervitude" de l'art
à l'esthétique du singe
Si le mythe de Diane et Actéon a inspiré abondamment les artistes de toutes les époques, c'est parce qu'il nous invite tant à une réflexion sur les rapports que l'homme entretient avec les formes animales et les forces divines, qu'à une réflexion sur les limites du regard (c'est-à-dire sur les limites de la connaissance) et des langages (c'est-à-dire de la représentation et de la transmission). Mais vu par Klossowski, le parcours d'Actéon devient l'histoire d'une errance aux limites de l'identité, qui nous emmène dans le lieu sans lieu du désir où l'artiste qui tient à divulguer ce qu'il a vu à ses contemporains trouve un moyen de sortir de l'aporie ("voir et ne pas pouvoir dire"), c'est-à-dire renie sa "cervitude" pour rejoindre les joies de la simulation par le simulacre, dans une esthétique du singe.
Elisabeth Magne (Université Bordeaux III), De la poule et de l'œuf…
Petite anthologie esthétique de la volaille dans l'art
Tel le petit œuf coque de Breughel dans le Pays de Cocagne, nous avons d'abord battu la campagne à la recherche d'images. Sont ainsi venus en lumière des œufs de petite nourriture - ceux de la vieille de Velasquez - mais aussi ceux plus pesants de Bosch ou de Dalí: œufs à la sauce métaphysique ou ancillaire selon l'ampleur de ce qu'ils portent.
Et après? ou avant? Il y eut la poule, l'oie, la dinde… animaux de basse-cour, va-nu-pieds d'une peinture qui, longtemps, ne les gratifia d'aucun rôle de composition et sembla souvent les oublier. L'art contemporain, en s'ouvrant à d'autres cultures, leur découvrit une puissance rituelle - Ana Mendieta, Adriana Varejaõ -, une charge érotique - Pierre-Yves Gervais -, une capacité de narration anthropomorphique - Yang Zhenzhong -, ou tout simplement une présence humble et immuable - Maya Andersson -.
Evelyne Toussaint (Université Pau), Et in anima(l) ego
Commisaire de l'exposition "Freeze" à Londres en 1988, Damien Hirst est, depuis les débuts de sa carrière, aussi largement médiatisé qu'il est controversé. Des œuvres telles que A Thousand Years (1990), installation dans laquelle des mouches passent de l'état de larve à celui de cadavre, ou encore l'immense requin mort de The Physical Impossibility of Death in The Mind of Someone Living (1991), flottant dans le formol d'une vitrine-aquarium, marquent l'histoire de l'art actuel. Ses travaux, jusqu'aux plus récents, interrogent la mort, le pouvoir médical, l'aliénation, le corps, au travers d'a-morales vanités et de sombres memento mori prenant l'animal pour prétexte et métaphore, en un style dont la radicalité se teinte d'humour noir.
DU POIL DE LA BETE ET DES ANIMOT
Itzhak Goldberg (Critique d'Art), Nom d'un chien
Le chien, ce "meilleur ami de l'homme" a toujours parfaitement endossé tous les rôles qu'on lui assigne dans le champs artistique. À l'image de son maître, ses portraits expriment une large gamme de sentiments et d'affects. Ainsi, en toute logique, la "crise du sujet" au 20e siècle fait du chien le symbole récurrent d'une société aliénée. L'œuvre du peintre Israélien Avi Trattner le situe en plus comme emblème de cette partie du Moyen Orient qui se déchire depuis des décennies.
Jean-Pierre Mourey (Université Saint-Étienne), Essaims et nuées
Essaims d'insectes, nuées d'oiseaux, hordes d'animaux. Ces multitudes sont à la fois ordre et désordre, dispersions d'éléments et organisations. Elles fascinent le regard humain par leurs pullulements, leurs tropismes. Se mesurant à ceux-ci, l'écriture de l'artiste a dû inventer des traits, des stries qui égalaient les intensités de la vie. H. Michaux, J. Miró, A. Masson ont expérimenté des rythmes et des graphies au diapason des vrombissements de la nature. D'autres, ainsi Ph. Favier, l'ont fait sur un mode plus fantaisiste. L'enjeu est cependant toujours les relations entre écriture et nature, entre les intensités et les rythmes du trait, de la couleur et ceux du monde animal.
Jean Arnaud (Université Aix-Marseille), Entrelacs et ruses de la pieuvre, d'Alain Séchas à Jeff Wall
Par son apparence informe, mi-liquide et mi-solide, la pieuvre inquiète et séduit. C'est une figure originelle et eschatologique qui porte en elle la lumière et l'encre. Depuis la Grèce antique, les peintres ont mis en valeur les sinuosités décoratives du céphalopode. Aujourd'hui, des artistes aussi différents que Jeff Wall et Alain Séchas en font un emblème stratégique d'une résistance impure et féconde aux modèles socioculturels établis. La présence du poulpe va de pair avec un questionnement esthétique fondé sur les inquiétudes d'un homme exposé à des mutations de tous ordres.
Lydie Pearl (Université Bordeaux III), Oleg Kulik: Canis, cannibale
Depuis le début de la Modernité, l'artiste soulève le voile qui cache les scénarios du refoulé; ce que Freud a appelé: "la préhistoire individuelle" où sont enfouis des désirs archaïques incestueux ou cannibaliques. Leur exposition choque, bouscule et, toujours, fascine les foules, favorisant ainsi la médiatisation et la reconnaissance de l'auteur. Aujourd'hui encore, Oleg Kulik a été reconnu par la scène internationale de l'art en perturbant les codes et conventions: en régressant vers l'animal, en faisant le chien, nu au milieu du public et en mordant pour mieux affirmer son identité "d'artiste russe".
Fabien Faure (Université Aix-Marseille), Bestiaires de hasard. Notes sur Huang Yong Ping
Omniprésent depuis une quinzaine d'années dans l'œuvre protéiforme et poly-culturelle de Huang Yong Ping, le règne animal apparaît comme un révélateur d'altérité. Empreintes de causticité et secrètement nostalgiques, les installations de l'artiste chinois - qui travaille en France - renvoient métaphoriquement aux malentendus, tensions et autres conflits jalonnant les relations séculaires qu'entretiennent l'Orient lointain et l'Occident. Les œuvres de Huang ignorent les séductions de l'exotisme comme les formes complaisamment métissées; les insectes, reptiles et autres créatures mal aimées y témoignent en revanche d'un règne du divers et de l'incompréhensible. Car si, partout, le monde animal nourrit l'imaginaire des sociétés humaines, rien ne permet de lui conférer la valeur d'un commun dénominateur culturel.
Jens Hauser (Commissaire d'Expositions), Derrière l'Animal l'Homme?
Altérité et parenté dans l'art biotech'
Quand des artistes ont recours aux diverses biotechnologies non plus seulement comme thème, mais aussi comme moyen d'expression et comme médium, ils transgressent les procédures de la représentation et de la métaphore pour passer à l'acte en manipulant le vivant lui-même. Toutefois, loin de l'épouvantail de l'artiste-savant, leurs dispositifs trouvent un écho dans les interrogations décisives auxquelles la philosophie soumet aujourd'hui le statut de l'animal.