Autres séjours fait suite à
Revermont. Aux images du Jura se substituent peu à peu celles des abords de la mer du Nord, où séjourne l’auteur. Comme
Revermont,
Autres séjours évoque, à la façon d’un journal en poèmes, le paysage intime qui s’assombrit, alors que la lumière marine l’éclaire d’un halo crépusculaire. Mais ce n’est pas tout : un prochain volume suivra, intitulé Le très vieux temps, où l’enfance rejoint et apaise le grand âge. La vie n’a pas de fin, même si le monde et la littérature agonisent.
Note de lecture :
De la lumière brouillée par le vent sur les rivages de la mer du Nord, Jean-Claude Pirotte donne à écouter une sonate en trois mouvements où on laisse les ombres de circuler librement sur la lande ou le polder. Le poète les interroge inlassablement
en parfaite intelligence / avec le soleil de minuit. L'atmosphère est aux charmes du silence et du crépuscule qui n'en finit pas de consoler et d'inquiéter. L'incertitude du
temps impondérable et la misère quotidienne révèlent
la présence absolue / de la vie dans une attente infinie :
- le mieux c'est de me taire
- et d'espérer quand même
- on ne sait quel présage.
Dans ce paysage intime qui s'assombrit lentement, le fantôme du chat disparu s'immisce dans la complainte du vent.
La lune au coin du toit veille l'insomnie du poète rédigeant des cartes postales sans réels destinataires, si ce n'est
les songes où vivre en exil et le temps qui passe. Car
il fait nuit noire / et l'enfance est ailleurs / et la vie nulle part, pourtant l'existence continue, farouchement mélancolique. Les voix de Joubert ou d'André Frénaud réveillent la mémoire par quoi
- nous aimons les défunts
- à qui l'ombre nous lie
- et nous goûtons sans fin
- la mort avec la vie
La fenêtre s'ouvre alors sur l'immensité terne du rivage de la Mer du Nord, paysage aussi infiniment changeant que rêvé. C'est là,
- entre les peupliers rebelles
- et les saules devenus vieux
- près des écluses du polder
que
- la dérive des ombres
- s'opère à notre insu
- comme au bord d'un ailleurs
- qui ressemble à l'oubli.
Extrait :
- c’est toujours l’hiver quand je viens ici
- le polder scintille sous la lune
- et la furtive marée de décembre
- attend du ciel un éclat de lumière
- je peux entrer me recueillir dans la chambre
- la marée me suit le vent me précède
- et les étoiles clignotent entre les nuages
- plus échevelés que la vieille Gorgone
- plus bouleversants que la Légende dorée
- plus lointains et plus proches que les enfances
- dont nous pensions avoir épuisé les charmes
- les mystères et les folies impénitentes
- et le vent qui fait battre le cœur
- au rythme des portes mal assurées
- s’introduit jusque dans les livres ouverts
- où sa soudaine présence émeut
- les héroïnes des romans oubliés
- restaure la mécanique rouillée des songes
- et démantèle une existence pauvre
- afin de la remplacer par une autre
- secouée de soues inédits et d’espoirs
- animée de nouvelles inattendues
- et de souverains envols prometteurs
- comme si la vie était une terre remembrée
- qui n’est pas en voie d’épuisement
- et qu’au soleil des emblavures
- le temps propice aux longs repaires
- devait épanouir les solitudes
- et révéler l’envers du monde
Revue de presse :
mise en ligne : 27/03/11